David Renaud
Hypérion
Galerie Störk, un impressionnant polyèdre est apparu. Tel qu’étudié par le mathémati- cien Eugène Charles Catalan en 1862, cet hexacontaèdre pentagonal est un solide semi-régulier, une forme géométrique fondamentale. Modélisation mathématique, le polyèdre traduit l’organisation intime
de la matière que l’on retrouve dans l’atome ou le cristal. Objet spéculatif par excellence, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, chargé de science, d’histoire et de fiction, l’hexacontaèdre est ici le véhicule imaginaire qui nous invite à voyager dans l’exposition de David Renaud.
À proximité, accrochées à des patères, cinq combinaisons pendent, semblant attendre un occupant en vue d’une excursion. Elles aussi sont pour le moins étranges : ni combinaisons de plongée, ni combinaisons spatiales. Secondes peaux, on les imagine mi-camouflages, mi-enveloppes... Reliques charnelles d’écorchés vifs, sacs mortuaires ? Combinaisons d’astronautes tout droit sortis des laboratoires secrets de la Nasa ou costumes d’extra-terrestres confectionnés dans les studios d’Hollywood ? Au mur, l’image de la lune Hypérion est issue d’une photographie prise par la sonde Cassini en approche de Saturne. De forme irrégulière, considéré comme le plus gros « objet » du système solaire, cette lune, qui n’en est pas véritablement une, interroge encore aujourd’hui nombre d’astrophysiciens et nous laisse rêveurs, nous autres Terriens... Science et fiction, sont pour David Renaud les moteurs et les vecteurs d’une exploration qui dans son travail artistique relève autant de la question de la représentation que de celle la modélisation. Si l’exposition Hypérion, par la juxtaposition des œuvres qu’elle réunit, évoque la possibilité
d’un scénario, elle ne s’en attache pas moins aux fondamentaux qui traversent le travail de l’artiste et qui traduisent la propension spéculative de l’art, comme pensée, langage et conception du monde, au même titre
que la science ou la philosophie. « Les peaux » disent l’être humain, par défaut mais dans un rapport d’échelle au monde et d’inscription dans celui-ci : le camouflage qu’elles évoquent rend autant aux techniques utilisée par la nature qu’à celles développées par l’homme pour survivre ou porter la guerre en territoire ennemi. L’image d’Hypérion retrace, évoquant les enjeux de la cartographie, sa volonté d’appropriation, de maîtrise du territoire mais aussi de captation des ressources qui définissent une politique et une économie et qui aujourd’hui appa- raissent comme autant d’enjeux de conquête que de survie. L’hexacontaèdre relève du modèle mathématique et joue sur l’attraction qu’a toujours suscité l’inconnu, l’inconce- vable, l’irreprésentable et dont les artistes, les écrivains ou les scientifiques n’ont eu de cesse de s’emparer. Il définit, par la forme et l’abstraction qu’il représente, le véhicule d’une pensée, d’une conception du monde, qu’elle soit issue de l’atelier, d’un roman de SF *, d’un studio de cinéma ou d’un labo de recherche fondamentale, qu’elle puisse être considérée comme utopique ou visionnaire.

Isabelle Delamont

*Hypérion est aussi le titre d’un roman de science-fiction de Dan Simmons, œuvre majeure du space opéra publiée en 1989.